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rizhome
20 novembre 2008

Le vingtième arrondissement veille sur sa mine d’or

La gare de Charonne, un café-concert vintage ? Jamais les passagers de La Flèche d’Or ne l’auraient imaginé. Pourtant, complaintes de la modernité, la fière locomotive a été dépassée ici par les bus, là par les voitures, et la gare où passait le train à vapeur a dû fermer. Une page s’est tournée, et le livre aurait pu se fermer là. Mais l’histoire est relancée dans les années quatre-vingt dix.
L’heure est alors au vintage, et une association de mélomanes nostalgiques s’approprient la gare abandonnée pour en faire un espace musical ouvert aux artistes et fêtards en tout genre. Le lieu se veut sans règle ni contraintes, à tel point que les autorités mettent peu à peu le nez dans leurs affaires et découvrent les excès de la vie nocturne de
La Flèche d’Or.
De fouille policière en fermeture administrative, le lieu devient plus calme, la fête se normalise.
Les nouveaux managers de
La Flèche d’Or
sont-ils allés trop loin dans le repenti ? Que reste-t-il de l’esprit des fondateurs ?

Le XXe arrondissement de Paris, c’est un peu comme les Alpes : montagneux et désert. Des sommets urbains, et au loin, les cimes des cités de la banlieue est. Pourtant samedi soir, en descendant la rue des Pyrénées, j’aperçois au milieu du paysage une centaine de personnes qui font la queue dans le froid, à l’entrée de la rue de Bagnolet. Cette lumière au 102 bis, c’est La Flèche d’or. La vingtaine dépassée, ils scrutent l’avancée de la queue, jettent un œil à l’humeur des videurs, et discutent avec les veinards qui sont déjà rentrés. Attendre, semble-t-il, fait partie du jeu. Et il en vaut la chandelle : depuis 2003, La Flèche d’Or est ouverte et gratuite tous les jours de la semaine jusqu’à deux heures du matin. Pas moins de trois show case de musique actuelle sont programmés, suivis, dès minuit, d’une soirée électro où s’enchaînent une pléiade de DJ.
Mais depuis quelques mois, venir découvrir les dernières tendances musicales de Paris a un prix. Cinq euros. C’est peu pour Alexandre, qui s’occupe de gérer la communication de la salle. Rencontré un peu plus tôt, il propose une visite de son antre, à la couleur grise et ferrailleuse de l’ancienne gare de Charonne. Au fond, un restaurant avec véranda donne sur les rails. Pendu au plafond, une statue de licorne. Des peintures apposées par des étudiants des beaux-arts ornent les murs. On comprend le coup de foudre d’Alexandre quand il a décidé de travailler pour la nouvelle équipe en 2003. Il revient, amusé, sur l’ambiance de La Flèche d’Or dix ans plus tôt, le bar était alors un squat d’artistes. Les clients finissaient souvent dehors… Sur les rails ! Bref, la fête ne supportait pas la moindre entrave. Mais les débordements et les trafics de drogue ont mis fin à cet îlot de liberté. En 2003, un énième contrôle de la police produit l’inévitable : la fermeture administrative de la Flèche d’or.

La Flèche d’Or sans ses pionniers

Le lieu renaît de ses cendres, mais les nouveaux gérants changent de formule, calment le jeu.
Pour la serveuse du Gambetta, le troquet qui jouxte la boîte, c’est en fait tout le quartier qui s’est transformé. Plus de squat d’artiste face à la salle. Il a été rasé puis remplacé par une résidence étudiante. A côté, un nouvel hôtel, le Mama Shelter, s’est ouvert. Et touristes et autochtones peuvent désormais se rendre dans la médiathèque flambant neuve à deux pas. La rue de Bagnolet s’est donc acclimatée à l’air du temps, elle est devenue cosmopolite. Une aubaine pour les nouveaux gérants de la Flèche d’Or, qui en rouvrant la salle en 2003, ont fait fructifier un lieu devenu culte.
Mais pour beaucoup, l’esprit des pionniers est déjà loin. L’entrée payante n’est que l’ultime coup de crayon qui fait du lieu une boîte comme tous les autres lieux nocturnes de la ville.
Au 102 bis rue de Bagnolet, on peut désormais se faire planter par des videurs peu bavards, s’insurge un habitué sur le profil Facebook de la salle. Il se promet d’ailleurs de ne plus y mettre les pieds. La serveuse du Gambetta, elle, n’essaie même plus d’y entrer. Elle s’est trop faite refouler.

De l’art de lier argent et création musicale

Pour les fans de la première heure, l’affaire est grave. Car si tout lieu festif doit perdre son esprit originel pour remporter un succès commercial, la culture risque d’être un pur produit industriel. Logique commerciale ou désir de faire connaître et de soutenir les artistes ? Pour Alexandre, les deux aspects vont de pair.
Ce ne sont plus tant les locaux qui viennent se rassasier l’oreille musicale, mais un public qui suit les dernières trouvailles sur internet, et défend ses artistes favoris. La Flèche d’Or est ancrée dans cette nouvelle réalité du marché musical : le réseau. Pour faire des entrées, ils font appel à des tourneurs qui les conseillent sur les groupes qui font le plus de vague sur la Toile. Le responsable de la communication est réaliste : l’équipe artistique du bar ne peut pas faire son travail sans le budget des entrées. Or le public, trop souvent, est venu sans dépenser, et la boîte, sans subvention publique aucune, aurait à ce rythme bien vite fermé.
Pour les nostalgiques, une page s’est tournée. Encore un lieu culturel gratuit qui disparaît.
Pour ceux-là, Alexandre est sans complaisance. Ils peuvent aller dans les salles subventionnées par la mairie s’ils veulent ! Ils ne paieront jamais sous la barre des dix euros pour un seul artiste dans la soirée.
Pour lui, La Flèche d’Or est un lieu fragile, comme l’est la culture à l’heure actuelle, et ce n’est pas un scandale que de payer sa boisson pour voir Cocorosie suivie de Keziah Jones !

Emmanuel Haddad

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